Harcèlement sexuel et élément intentionnel : précisions apportées par l'arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2020

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Le harcèlement sexuel en droit pénal :

Le harcèlement sexuel est un délit prévu et réprimé par l'article 222-33 du Code pénal, qui le définit de la manière suivante :


"I. - Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

L'infraction est également constituée :

1° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l'instigation de l'une d'elles, alors même que chacune de ces personnes n'a pas agi de façon répétée ;

2° Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

II. - Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers."


Ce délit qui relève du Tribunal correctionnel est puni d'une peine de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende.

Cette peine peut être portée à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende en cas de circonstances aggravantes notamment lorsque les faits sont commis :

  • Par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, 
  • Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur,
  • Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur.


Le harcèlement sexuel, comme le harcèlement moral, sont des infractions intentionnelles, c'est-à-dire que, pour que l'auteur puisse être condamné sur le plan pénal, il faut démontrer qu'il a eu conscience d'enfreindre la loi et qu'il a agi sciemment. A défaut d'apporter cette preuve, l'auteur sera relaxé.




Le harcèlement sexuel en droit du travail :

L'article 1153-1 du Code du travail prohibe également les faits de harcèlement sexuel : 

"Aucun salarié ne doit subir des faits :

1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers."



A la différence du droit pénal, en droit du travail, au civil, la caractérisation du harcèlement sexuel (ou moral) ne nécessite pas de démontrer que l'auteur avait conscience, avait l'intention de commettre de tels faits.

En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation juge de manière constante que « le harcèlement est constitué, indépendamment de l'intention de son auteur » (Cass. Soc., 10 novembre 2009, n°08-41.497).


L'article L1153-2 du Code du travail précise également que :

"Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l'article L1153-1, y compris, dans le cas mentionné au 1° du même article, si les propos ou comportements n'ont pas été répétés."


En application de l'article L1153-4 du Code du travail, "toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L1153-1 à L1153-3 est nul".

Ainsi, dès lors qu'un salarié est sanctionné, licencié ou fait l'objet d'une mesure discriminatoire en lien avec des faits de harcèlement sexuel (ou même moral) dont il a été victime, cette mesure encourt la nullité.



Apport de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2020 :

Dans cette affaire, une salariée est embauchée en contrat de professionnalisation en qualité d'assistante dentaire et est, par la suite, licenciée pour faute grave.

Considérant avoir été victime de harcèlement sexuel, elle saisit le Conseil de Prud'hommes en contestation de son licenciement.

Parallèlement à l'instance devant le juge civil, le Tribunal correctionnel relaxe l'employeur des fins de la poursuite pour harcèlement sexuel, en se limitant à constater l'absence d'élément intentionnel.

En dépit du jugement du Tribunal correctionnel ayant relaxé l'employeur, la Cour d'appel, saisie du litige relatif au contrat de travail, après avoir retenu que la salariée avait bien été victime de faits de harcèlement sexuel, juge qu'en conséquence son licenciement est nul.


L'employeur se pourvoit en cassation considérant que le juge civil ne pouvait retenir la qualification de harcèlement sexuel dès lors qu'il avait été relaxé devant le Tribunal correctionnel et donc prononcer la nullité du licenciement.

Dans le cadre de son pourvoi, il s'appuie sur le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil pour en conclure que la décision rendue par le juge pénal devait s'imposer au juge civil qui ne pouvait retenir un harcèlement sexuel.
 

En effet, la Cour de cassation juge de manière constante que "les décisions de la juridiction pénale ont au civil l'autorité de chose jugée à l'égard de tous et qu'il n'est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif" (Cass. Soc., 3 novembre 2005, n°03-46.839).

Pour résumer, cette jurisprudence signifie qu'en cas de relaxe d'un prévenu pour une infraction intentionnelle devant le juge pénal, le juge civil ne peut pas retenir une faute civile pour octroyer des dommages et intérêts à la victime. A l'inverse, si le juge pénal juge l'infraction caractérisée, le juge civil ne peut pas nier la faute civile pour refuser d'indemniser la victime.


La Cour de cassation n'est pas de l'avis de l'employeur et rejette son pourvoi en jugeant que :

"Il résulte des articles 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 480 du code de procédure civile, que les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

La cour d'appel a relevé qu'en l'espèce, le jugement de relaxe du tribunal correctionnel était fondé sur le seul défaut d'élément intentionnel.

La caractérisation de faits de harcèlement sexuel en droit du travail, tels que définis à l'article L. 1153-1, 1°, du code du travail, ne suppose pas l'existence d'un élément intentionnel.

Par conséquent, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la décision du juge pénal, qui s'est borné à constater l'absence d'élément intentionnel, ne privait pas le juge civil de la possibilité de caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l'employeur.

Le moyen n'est donc pas fondé."



Néanmoins, cet arrêt, bien qu'intéressant, ne constitue pas un revirement de jurisprudence dans la mesure où, en l'espèce, le juge pénal n'avait fondé sa décision de relaxe qu'en raison de l'absence d'élément intentionnel et non pas sur le défaut d'élément matériel de l'infraction (à savoir l'existence de propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à la dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent une situation intimidante, hostile ou offensant).

Or, en droit du travail, l'élément intentionnel du harcèlement n'est pas requis, à la différence du droit pénal qui en fait une condition pour que l'infraction soit caractérisée.

Ainsi, même en l'absence d'intention de l'auteur des faits, le harcèlement sexuel (comme le harcèlement moral) peut être retenu par le juge civil.

C'est donc très justement que la Cour de cassation a considéré que, dans une telle hypothèse où le juge pénal s'était borné à constater l'absence d'élément intentionnel sans jamais envisager la question de l'élément matériel, la décision de ce dernier, muette sur ce dernier point, n'avait pas l'autorité de la chose jugée et que le juge civil pouvait caractériser des faits de harcèlement sexuel de la part de l'employeur.

La décision aurait été différente si le juge pénal avait relaxé l'employeur en considérant que l'infraction n'était pas matérialisée. En effet, dans une telle hypothèse, le juge civil n'aurait alors eu d'autre choix que de suivre cette décision et débouter la salariée de ses demandes.


Cet arrêt de la Cour de cassation du 25 mars 2020 est parfaitement transposable aux cas de harcèlement moral dès lors que, comme pour le harcèlement sexuel, l'élément intentionnel n'est requis qu'en droit pénal et pas en droit du travail.


Cass. Soc., 25 mars 2020, n°18-23.682